La Lettre

Novembre 2024


Interview

Interview de Jean-Pierre Petit, Président des Cahiers Verts de l’Economie par Vincent Guenzi

Jean-Pierre Petit
Président des Cahiers Verts de l’Economie
Jean-Pierre, pouvez-vous nous commenter les résultats des élections américaines ?

Donald Trump a été élu avec une marge d’avance dépassant les pronostics. Le parti républicain a regagné le Sénat et les décomptes partiels rendent plus que probable leur victoire à la Chambre des représentants. Ce serait dans ce cas un raz-de-marée républicain leur donnant les pleins pouvoirs.

Donald Trump aura-t-il les mains libres pour appliquer tout son programme ?

Les pouvoirs propres du Président sont importants et touchent en particulier les domaines suivants : la politique commerciale (droits de douane), une grande part de l’immigration, la déréglementation des énergies fossiles (industrie pétrolière) et la nomination des juges (qui doit être approuvée par le Sénat). La politique économique et budgétaire passe par le Congrès alors que la majorité n’est pas encore acquise à la Chambre des représentants. Par ailleurs, il n’est pas interdit de penser que Donald Trump n’appliquera pas forcément la totalité de son programme par pragmatisme, sans oublier l’influence des lobbys.

Le programme de Donald Trump touche principalement la géopolitique, la politique migratoire et la politique économique et budgétaire. Pouvez-vous brièvement nous détailler ces points ?

Concernant l’Ukraine, Donald Trump s’est engagé à obtenir un cessez-le-feu ou un armistice probablement en contrepartie d’un abandon des territoires occupés par la Russie, d’une garantie de non-adhésion à l’OTAN, d’un allégement des sanctions sur la Russie et de l’arrêt du soutien militaire à l’Ukraine. Ceci va à l’encontre des volontés de l’Ukraine et de l’Europe mais l’issue de cette démarche reste incertaine. Du côté de Taiwan, l’ambiguïté de la position américaine devrait se maintenir. Enfin, la présidence Trump devrait être plus favorable à Israël et plus dure avec l’Iran.

La politique migratoire a occupé le devant de la scène avec une promesse d’expulsion d’une grande partie des migrants illégaux. Outre la difficulté de réaliser cette opération, la conséquence d’une restriction importante ou trop rapide de la population émigrée pourrait favoriser des tensions salariales et de l’inflation. Les entreprises américaines seront certainement tentées de modérer ces orientations.

Concernant la politique commerciale, le retour de Donald Trump ira de pair avec un relèvement des droits de douane, à 60% sur les produits chinois et à 10% pour les importations des autres pays. Les conséquences seraient multiples : baisse des importations, hausse des prix (assez faible), baisse des marges des importateurs et des distributeurs, hausse des recettes fiscales. Globalement c’est un impact légèrement négatif sur l’activité qui est attendu que nous estimons de 0.4 à 0.8% du PIB à moyen terme.

Enfin, le programme économique de Donald Trump comporte de nombreuses mesures d’extension des allègements de la fiscalité des ménages et des entreprises, des dépenses dans la Défense, des mesures de soutien à l’immobilier et dans la santé, etc. qui totalisent plus de 10 000 milliards de dollars sur 10 ans. L’impact annuel positif sur la croissance serait d’environ 0.4%. En contrepartie, la hausse des droits de douane et les réductions de dépenses pourraient compenser la hausse du déficit fédéral. Au total, il faut s’attendre à une hausse du déficit budgétaire pouvant aller de 1 à 2% par an alors que celui-ci atteint déjà 6% aujourd’hui ce qui augmentera le niveau de la dette américaine.

Quelles sont les conséquences prévisibles de ce programme ?

Les deux conséquences sont un impact inflationniste et négatif sur le plan économique dont l’ampleur va dépendre de l’exécution totale ou partielle du programme mais aussi de l’ordre dans lequel ces mesures s’appliqueront. Par ailleurs, la baisse de la fiscalité devrait favoriser la confiance et les résultats des entreprises. Enfin, rappelons que lors de son premier mandat, Donald Trump n’a appliqué qu’une partie de ses engagements et que son bilan économique peut être considéré comme positif.

Quels seront les impacts sur les actifs financiers aux Etats-Unis et en Europe ?

C’est une vaste question. L’évolution des actifs financiers depuis le redressement de Trump dans les sondages nous donne une première réponse : une hausse des taux longs américains et du dollar et une progression des indices boursiers américains. Au vu des mouvements déjà réalisés, il est possible que le potentiel de hausse supplémentaire à court terme soit assez limité. Logiquement, les actifs européens et émergents (devises et actions) devraient être sous performants par rapports aux actifs américains.

En conclusion, faut-il craindre le deuxième mandat de Donald Trump ?

On peut naturellement craindre la nature du personnage particulièrement versatile et s’attendre à de nombreuses surprises entrainant de la volatilité sur les marchés. Cependant, il saura faire preuve de pragmatisme et, encore une fois, son premier bilan n’a pas été négatif. La première crainte pour les européens est l’abandon du soutien à l’Ukraine et une moindre contribution américaine à notre défense. Mais reconnaissons à Trump "version 1" le mérite d’avoir ouvert les yeux de nos Gouvernements sur nos faiblesses et sur la naïveté de l’Occident vis-à-vis de la Chine.



Cette page a été publiée le 29/11/2024